Classer la gastronomie française? Les chefs cuistots en ont rêvé, enfin presque tous. Nicolas Sarkozy veut le faire. Dans la foulée, le président de la République devrait aussi suggérer de faire classer au patrimoine mondial de l'Unesco les marchés des 36.783 communes de France...Pourquoi les marchés, au même titre que Bordeaux, Le Havre ou la vallée de la Loire? Parce que sans les marchés, plus de vie politique possible. Quasiment tous les ans (on vote beaucoup en France, et il faudrait être fou ou autocrate pour s'en plaindre) dès que le printemps pointe le bout de son nez, son air plus doux, ses premières jonquilles, les marchés sont pris d'assaut. Au milieu des produits du terroir bien de chez nous, pommes de terre de l'île de Ré, clémentines d'Israël, pommes de Normandie, dattes de Tunisie, endives du Nord et litchies de Madagascar, les candidats s'invitent et se faufilent avec leurs tracts, leur sourire et leurs arguments de campagne. Ils distribuent leur programme, ou leur liste, ou les deux. Certains ont des écharpes orange, d'autres des pulls bleu horizon, d'autres des casquettes rouges. Les passants les évitent ou les guettent, disent bonjour au maire sortant, écoutent d'un air plus ou moins distrait les challengers, donnent ostensiblement leur avis ou semblent s'excuser de saisir un tract qu'ils glissent bien vite dans leur poche. Les plus consciencieux réclament toute la littérature électorale, qu'ils liront à tête reposée, chez eux, le dimanche après-midi, entre le café, les Guignols et Michel Drucker.
Lieu de plaisir et de promenade autant que de commerce, le marché peut aussi devenir le lieu de toutes les joutes. Oratoires, entre les candidats qui se contredisent ou s'invectivent. Ou physiques, quand une star de la politique descend dans l'arène et provoque, comme Ségolène Royal à Levallois le 17 janvier, une bousculade comme les vieux militants n'en avaient pas vu depuis des lustres.
On mélange allègrement la liste des courses avec celle des promesses: un kilo de tomates, la baisse des impôts locaux, une botte de poireaux, la construction d'une salle polyvalente, six pamplemousses, des foyers pour les personnes âgées, un artichaud, le sport gratuit pour les enfants...Alors oui, classons les marchés de France. Car si un jour la grande distribution, avec ses légumes aseptisés et ses plats tout prêts, venait à faire disparaître ces petits morceaux du patrimoine, c'est toute la politique française qui serait en état de péril démocratique.
B.H.
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